Mesdames, n’avez-vous jamais rêvé, rien qu’une seule fois, d’épouser les traits des pulpeuses et sexy Angelina Jolie, Monica Belluci ou Charlize Theron? Et vous, messieurs, de ressembler, l’espace d’un instant – voire plus longtemps, aux « belles gueules » du cinéma U.S. : Robert Redford, Brad Pitt ou Johnny Depp en tête? Les stars et leur image font rêver le monde entier, quitte à devenir des standards uniformisés de beauté. Entre le regard de l’autre et l’image que l’on porte sur soi existe un fossé que le chirurgien esthétique est là pour « réparer ». Pour cette quatrième édition estivale de « Ma vie est une série »*, dijOnscOpe, armé de son bistouri le plus tranchant, a rencontré Pierre Bensa, chirurgien plastique et esthétique à Dijon. Entre deux opérations de liposuccion et d’augmentation mammaire, le docteur nous invite à « refaire » le monde avec lui…

La chirurgie aux deux visages

On distingue deux types de chirurgie : l’une reconstructrice et l’autre esthétique. Seule la première est prise en charge par l’assurance maladie : « la chirurgie esthétique n’est pas remboursée car le vieillissement facial est purement physiologique ». Chacune a ses champs d’actions spécifiques : « La chirurgie réparatrice peut concerner des lésions, des accidents, des hypertrophies mammaires, des tumeurs, des cancers du sein, etc. La chirurgie esthétique, elle, est dédiée au vieillissement facial, à la chirurgie de la silhouette, aux implants mammaires… », énumère le Dr. Bensa.

En vingt ans de carrière, son regard sur la douleur physique et la détresse psychologique de ses patients a évolué : « D’un côté, vous avez la maladie et de l’autre, la souffrance morale. Parfois, cette dernière est plus dure à supporter que la maladie, une réalité que j’ai mis du temps à concevoir », avoue-t-il. Et d’ajouter : « Une femme qui n’a pas du tout de poitrine, c’est le reflet de sa féminité. Un homme qui n’a pas de cheveux, qui les perd, c’est le reflet de sa virilité. La souffrance morale générée par ces disgrâces peut être bien supérieure à celle occasionnée par la maladie comme par exemple pour une brûlure ou une cicatrice ».

Selon le docteur Bensa, « la chirurgie esthétique s’est démocratisée », pour le meilleur et pour le pire. Il condamne au passage « le tourisme médical ». Des patients se rendent dans certains pays pour acheter, clefs en main, des opérations esthétiques à moindre prix : Dans ces pays, comme la Tunisie ou la Thaïlande, les normes en vigueur ne sont pas les mêmes que dans les pays européens. Les risques ne sont pas les mêmes, le suivi non plus ; il est d’ailleurs absent ! ». Citant l’exemple édifiant d’une patiente revenue le voir après s’être fait poser des implants mammaires au Maroc, il s’interroge : « A cause d’une transfusion, elle est devenue séropositive ! Pour milles euros de différence, fallait-il prendre un tel risque ? »

Le syndrome Zahia

Recevant beaucoup de jeunes adolescentes à son cabinet, Pierre Bensa déclare n’en opérer finalement que très peu. Il invoque entre autre deux raisons essentielles :  » Premièrement, ces jeunes ont une très mauvaise image d’eux-mêmes liée aux problèmes habituels de l’adolescence ; deuxièmement, la demande n’est pas forcément fixée : une jeune fille peut vouloir se faire retoucher le nez, le lendemain, les oreilles et probablement le surlendemain, la bouche ou les seins ». A ces jeunes patients en devenir, son discours reste résolument le même : « Vous ne voyez pas votre image telle qu’elle est réellement ! Je comprends votre douleur mais je vous conseille de vous adresser plutôt à mon voisin de palier qui est psychiatre ». Selon lui, il ne s’agit donc pas de « passer à l’acte » systématiquement mais plutôt de les inciter à « entreprendre un travail sur eux-mêmes et à en parler ».

En fonction de la demande de l’adolescent, « à nous de dire si c’est raisonnable ou pas ». Il évoque le cas de la sulfureuse Zahia, l’escort girl attitrée des « bleus » : « adolescente, mince, bonnet D, ce n’est pas raisonnable, ce n’est pas harmonieux, c’est une disgrâce ! Les adolescentes qui voient ces choses dans les médias sont tentées de venir nous voir à cause de ça ! » Considérant à titre personnel ce phénomène comme « dramatique », sa position en tant que professionnel est claire : « Je ne veux pas que toutes les adolescentes ressemblent à Zahia ! Ce n’est pas cela mon métier ! » Pierre Bensa reste toutefois lucide : « Ces jeunes trouveront toujours un chirurgien qui voudra bien les opérer… ». Là où le passage à l’acte peut se révéler « destructeur », il préconise volontiers un suivi sur le long terme afin de temporiser la demande du patient : « Il est plus facile de passer à l’acte avec le bistouri que d’entamer une véritable thérapie qui remettra en question votre construction, vos relations avec le monde extérieur, vos parents, vos amis… ».

Parfois, ce n’est pas l’adolescent qui est directement en demande mais le parent lui-même ! Le chirurgien reçoit ce qu’il appelle affectueusement des « mères barbie ». Pour ces mères qui paraissent plus jeunes que leur fille, une seule exigence : « Je suis une poupée barbie, je veux que ma fille soit une poupée barbie ! ». « Le problème ne se situe pas au niveau de l’intervention esthétique en elle-même mais dans la relation entre la mère et la fille », observe-t-il.

* A partir d’exemples concrets de films ou de séries, il s’agit de découvrir en profondeur un métier hors norme et extraordinaire, suscitant généralement les fantasmes les plus fous dans l’imagerie populaire. Bien souvent, la réalité est tout autre. Loin des clichés et des idées reçues, découvrez la vérité insoupçonnée sur ces professions de l’ombre qui vous passionnent…

Finis les liftings du front avec l’incision dans le cuir chevelu et la remontée de la peau ; place au botox ! « Ce produit appartient au domaine de la médecine esthétique », note Pierre Bensa, qui considère la chirurgie comme le « passage à l’acte » et la médecine esthétique avec le botox ou l’acide hyaluronique, comme du « badinage » : « Ces traitements légers et sans conséquence amènent le patient à passer à l’acte plus tard ». Les gens viennent une ou deux fois par an, nous faisons quelques petites injections de toxine botulique et c’est fini ! ». Ce produit est, d’après le Dr. Bensa, l’un des éléments qui a permis la démocratisation de la chirurgie esthétique ces dix dernières années : « Il a permis l’accession au bien-être de patients qui n’étaient pas forcément prêts à subir une grosse intervention avec des suites et un budget importants ».

Avertissant « qu’une opération est en soit un traumatisme chirurgical, physique et psychologique », dans ces conditions, le suivi sur plusieurs mois est primordial : « L’année qui suit l’opération peut occasionner des phases d’inflammation de la cicatrisation, des phases de déprime ou de complications. Le patient peut venir me voir autant de fois qu’il le désire », insiste-t-il. Par ailleurs, les saisons passent et les demandes des patients ne se ressemblent pas : « Au printemps et à l’automne, nous faisons beaucoup de chirurgies de la silhouette. Tout ce qui est corporel prédomine : seins, lipo-aspirations, ventre, plasties abdominales… L’automne et l’été, nous avons plus de demandes de chirurgies faciales : vieillissement, paupières, liftings, etc. car les patients peuvent s’isoler quelques semaines plus facilement ».

Bien dans son corps, bien dans sa tête ?

Avant d’entamer l’opération chirurgicale, en général, deux consultations sont requises : « La première est d’ordre plus technique et la seconde davantage psychologique ». Pierre Bensa avoue refuser en moyenne deux fois plus qu’il n’opère, chirurgie réparatrice comprise : « Le problème est posé ainsi : quelle est la motivation ? Pour qu’une patiente vienne me rendre visite, il faut qu’il y ait une souffrance. Cependant, pour qu’elle se fasse opérer, il faut que la motivation soit supérieure à ses angoisses, c’est une balance. S’il n’y a pas motivation et souffrance, ce n’est pas possible ». Bien que le Dr. Bensa affirme que le désir de jeunesse éternelle est pure « illusion », le désir de rester « en accord et en harmonie avec soi-même » lui parait licite : « Dans le monde dans lequel nous vivons, nous avons besoin d’être bien dans notre peau pour pouvoir bien faire notre métier, bien aimer et être heureux tout simplement ! ».

Convaincu que l’opération change le regard que l’on porte sur soi, Pierre Bensa évoque le cas d’une de ses patientes, âgée de 22 ans, venue le remercier trois mois après son opération : « Parce que j’ai retrouvé une poitrine, je me sens mieux dans ma peau, ça va mieux avec mon mec et j’ai trouvé du boulot ! ». Intimement persuadée que sa métamorphose est liée à l’intervention, le chirurgien, pour sa part, est certain que c’est parce « qu’elle se sent mieux avec elle-même, c’est tout ! ». D’après Pierre Bensa, le corps et l’esprit sont indissociables dans la quête du bonheur : « Notre attitude dans la société, à ne pas confondre avec notre personnalité, est aussi fonction du regard que nous portons sur nous-mêmes. On ne peut pas aimer correctement si l’on ne s’aime pas un minimum. Une femme ou un homme qui est mieux dans sa peau aimera mieux et travaillera mieux. C’est une conviction ! ».

Lolo Ferrari : des seins de 3kg chacun !

La chirurgie esthétique n’a pas toujours eu bonne presse dans l’Hexagone, souvent décriée et condamnée pour ses excès et ses ratages. le Dr Bensa nuance la situation : « La chirurgie esthétique doit harmoniser et non pas changer ». Il condamne radicalement les abominations de la nature telle que fut en son temps la funeste et pathétique Lolo Ferrari : « Ce n’est pas de la chirurgie esthétique mais une déviance, une maladie psychiatrique qui s’appelle la dysmorphophobie. C’est criminel à la fois car c’était une très jolie fille mais aussi parce que certains praticiens sont prêts à tout pour de l’argent ! », déplore-t-il. Pour exercer son métier dans les règles de l’art, Pierre Bensa dénombre trois principes fondamentaux : « la technique, l’humain et le financier ». « Lolo Ferrari ? ce n’était que l’aspect financier ! », rétorque-t-il.

Pierre Bensa observe des différences majeures entre la pratique de son métier et l’utilisation qui en est faite entre l’Europe et les États-Unis : « Chez les Américains, la chirurgie esthétique est un signe extérieur de richesse ! La société est tellement contraignante que la femme doit être mince, grande, blonde, avec un petit nez, des pommettes hautes et une grosse bouche ! Pour moi, ça s’appelle des barbies ! En France, heureusement, c’est encore une question d’harmonie et de beauté ». Pierre Bensa touche du bois et espère que l’Europe ne tombera pas dans les mêmes travers que les États-Unis : « Si tel était le cas un jour, je démissionnerais sans hésiter! »

Peu adepte des coups de bistouri à la volée et non-justifiés sur des stars Américaines et mêmes Françaises, il revient sur l’essence même de son métier : « Il s’agit d’enlever des petits défauts, sans changer et sans abimer ! ». Tout dépend donc de l’usage qui est fait de cette pratique. Entre les mains d’un chirurgien mal attentionné, le pire est à craindre : « Quand vous mettez par exemple Jane Fonda à coté de Nicole Kidman, d’un côté vous avez une actrice âgée et belle et de l’autre une femme défigurée ! » Pour Pierre Bensa, le plus beau compliment qu’un patient puisse lui faire après un lifiting est le suivant : « Je suis retourné travailler. Tout le monde m’a dit que j’avais bonne mine, que j’avais l’air frais et reposé sans voir que j’avais été opéré ! »

Tell me what you don’t like about yourself ?

« J’adore la série Nip/Tuck ! Les relations entre Christian Troy (Julian McMahon) et Sean McNamara (Dylan Walsh) sont géniales ! En revanche, ce n’est pas mon métier ! Heureusement, nous avons une éthique. Un patient ou une patiente reste un patient ou une patiente. A mon sens, une relation extra-professionnelle est moralement impossible ». Pierre Bensa avoue même organiser fréquemment des soirées Nip/Tuck avec ses aides opératoires étudiants : « On se marre ! J’ai vu tous les épisodes, c’est parfait ! Certains détails sont appréciables : le fils de Christian, Matt (John Hensley), est le portrait craché de Michael Jackson et ce n’est pas pour rien ! »

Sur l’aspect purement technique, Pierre Bensa émet toutefois des réserves en tant qu’expert : « C’est réaliste dans l’utilisation du bloc opératoire, l’ouverture du corps et les mannequins sont très bien faits chirurgicalement mais techniquement, c’est nul ! Nous ne travaillons pas comme cela, il n’y a pas du sang partout et on ne jette pas les instruments ainsi ! » Saluant l’imagination des scénaristes, l’épisode où les chirurgiens opèrent des jeunes dont les implants mammaires sont remplies de cocaïne, a retenu son attention (Saison 1, épisode 13). Sur l’aspect purement relationnel entre les chirurgiens et leurs patients, « l’approche empathique et d’écoute est assez bien restituée. Je remplace d’ailleurs le « Dites-moi ce que vous n’aimez pas chez vous ? » par « Dites-moi ce que je peux faire pour vous ? ». Mais le fait d’aller voir un mannequin dans un bar, Kimber (Kelly Carlson) en l’occurrence, et de la diriger en lui conseillant de se faire refaire toutes les parties du corps, ce n’est pas la réalité, c’est purement américain comme conception ! Ce n’est pas nous qui décidons ce qui ne vas pas, c’est la patiente qui nous le dit », jure-t-il.

Destins tragiques

En l’espace de sept saisons, Nip/Tuck fait la part belle aux situations ubuesques avec les demandes de patients toujours plus extravagantes et terrifiantes les unes que les autres. Il arrive même que la fiction rejoigne la réalité : « J’ai déjà reçu des patients scarifiés souffrant de pathomimie » Dans l’épisode 2 de la saison 6, « Enigma », un adolescent fasciné par les ténèbres s’est gravé le nombre 666 sur le front. Scarifié de signes cabalistiques, l’arrière de son crâne présente un tatouage effrayant de tête de mort. Ses parents décident d’agir et de le faire opérer contre son gré… »C’est une destruction de soi. Pour l’opérer, il faut une expertise psychiatrique pour estimer si vous êtes guéri ou pas. Si je vous opère, que tout se passe bien mais que trois mois après vous vous scarifiez à nouveau, ce n’est pas pensable ! », indique-t-il.

Enfin, une histoire récente a bouleversé le chirurgien, totalement désarmé face à la situation, tragique : « La semaine dernière, je reçois une fille qui avait le nez dévié. Manifestement, elle avait pris un coup. Elle m’explique que son mari la tabassait tout le temps. Je lui demande si le problème est réglé, si elle a porté plainte. Elle me dit non et admet qu’elle le provoque sans doute peut-être un peu trop. Je lui explique que je suis médecin, que je ne peux pas la laisser ainsi, qu’elle doit porter plainte, que c’est de la non-assistance à personne en danger. Elle me répond que de toute façon, elle trouvera bien quelqu’un d’autre pour l’opérer… »

Pierre Bensa

Chirurgien esthétique  Dijon

 

Article tiré du site dijOnscOpe